Jean-Baptiste Joly- Reisebilder

Reisebilder

Images de voyage, celles qu’on emporte avec soi comme un nomade emporte ses tapis, images familières qu’on accroche au mur de sa chambre d’hôtel qu’on pose sur le so! d’une maison nouveile pour s’y sentir chez soi.

Images de voyage, celles qu’on découvre sur place, visages, paysages. objets. images sonores, ambiances captées. dans l’instant dont la trace sera perdue et le souvenir impérissabie.

Images de voyage, celles qu’on rapporte avec soi, trophées, icônes, cartes postales que brandissent les héros de Jean Luc Godard, Michel Ange et Ulysse, dans Les Carabiniers“ „Dans cette valise“ dit Michel Ange „Il y a des surprises“ poursuit Ulysse. „Des monuments, des moyens de transport, des magasins, des oeuvres d’art, de l’industrie, richesses de la terre, charpentes, pétrole, etc…, merveilles de la nature, les montagnes les déserts, les pavsages. Ies animaux l cinq parties du monde, les planètes, naturellement, naturellement“.

C’est de ces images qu’il est question ici, de ces. „Reiseilder“ qui s’inprimenl et s’effacent. qui se recoupent, s’enchevêtrent et se‘ télescopent..

Tel un commis voyageur. Ulrich Bernhardt arrive de Stuttgart avec dans ses cartons les images qui ne le quittent jamais : la belle Lau qui voudrail être enceinte, sort la tête de la fontaine-vidéo pour reprendre son souffle. Elle se brise la langue à prononcer. comme dans la nouvelle d’Eduard \Lriku. la phrase magique :

„Glei bei Blaubera leit a Klôzle Blei“ (A côté de Blauberen, résonne un bloc de plomb). Sur les hauteurs du Pelion, deux compéres quittent le monde moderne à la recherche de la grotte de Chiron, le maître d’Achille,

d’Hercule et de Jason. Ie maitre des arts et de la magie. Ces images empruntées a la Grèce antique ou au romantisme allemand, dont Ulrich Bernhardt est l’un des rares héritiers vivants, ont une valeur de mise en garde : telles qu’ii les utilise, la vidéo et la photographie sont libérées de leur fonction d représentation du réel

et deviennent les révéiateur’de sa mythologie personnelle.

„Doit on élaguer çà et là des pensées et des images, quand elles ne répondent pas au goût civilisé des Français et lorsqu’elles pourraient leur paraître une exagération désagréable ou même ridicule ? se demande Heinrich Heine dans la preface  de lédition française des „Reisebilder“ Et ii ajoute ‚ Ou bien faut il introduire Ie sauvage allemand dans Ie beau monde parisien avec toute son orginaliié d’outre  Rhin, fantastiquement colorié de germanismes et surchargé d’ornements pas trop romantiques ?“. Prenant avec autant d’ironie que Heine le parti de se présenter dans sa „barbarie native“ Ulrich Bernhardt emprunte au musée dc Valence quelques objets, une tortue de la collection de sciences naturelles, une maquette historique de la Bastille ; ii intervient ajoutant des oreilles a l’une, les „Oreilles de Gertrude Stein“ dit il, et un enorme tube à essai   plus large et plus haut qu’une tour   rempli de formules biogénétiques a la forteresse, annonçant ainsi une „Troisième Révolution“. Ces gestes iconoclastes se situent a mi chemin entre les moustaches peintes par Duchamp a la Joconde et la geniale idée d’Alphonse Allais qui proposait au début du siècle, pour regler le conflit serbe, de ‚f… les Balkans dans les Dardanelles“.

Dans l’épilogue du roman d’Eichendorff „Scenes de la vie d’un propre à rien“, le heros a qui Leonhard et Flora racontent le fin mot de l’histoire se rèjouit de l’amour enfin trouvé mais ne comprend toujours pas ce qui lui est arrivé. Tout occupé a son bonheur, cela ne l’intéresse sans doute pas. Un sentiment comparable saisit le spectateur des images superposées d’Ulrich Bernhardt en enchevêtrant des images anciennes et des prises récentes, il réalise le rêve de la simultanéité des souvenirs et de la perception immediate, propose à posteriori, comme Leonhard et Flora, une image qui réjouit et convaine sans donner pour autant accès à une quelconque explication. Car il s’agit bien moins d’expliqncr le réel par sa représentation que dc montrer les limites de sa rationalité, de fixer par le procédé photographique l’ombre de l’ésprit qui donne toujours un sens aux collisions des images. Le procédé est simple : dans son réfrigérateur Ulrich Bernhardt conserve des centaines de rouleaux de pellicules exposés a la lumiére des paysages qui l’ont marqué, en Gréce, en Souabe, en France ou ailleurs. Sur chaque film est note par une initiale le lieu des prises de vue, N pour Nekar on VC pour Vercors. Ces films sont utilisables pour une deuxiéme exposition a partir du moment oü limage s’est effacée de sa mémoire. Alors il puise dans ses reserves une pellicule ancieune qui sera le support des visages et des paysages de l’Ardéche ou de la Drôme, superposant ainsi dans une vision continue du temps qui sépare les deux prises de vue le souvenir onblié et le sentiment de l’instaut.

Lors de la présentatiou d’un de ses premiers travaux video, „Der Fluss“ (le fleuve) a Stuttgart en 1978, Ulrich Bernhardt affirmait „Je voulais représenter le cours du temps qui coule en permanence a travers nous, toujours différent“. Quinze ans se sout écoulés entretemps, la forme a certes évolué mais le propos n’a pas varié. A la conception moderne du temps Ulrich Bernhardt oppose une vision antique beaucoup plus concrete qui ne dépendrait non pas du procés de travail, mais du rythme des éléments naturels, de la mémoire, du corps humain, sorte de clepsydre où la vie s’écoulerait entre la naissauce et la mort. Gest cette vision physique du temps qui traverse aussi bien son travail photographique, ses installatious video que ses interventions sur des objets historiques.

Jean Baptiste Joly